EXPOSITION
GALERIE EVA VAUTIER
LES FRÈRES RIPOULAIN
Univers parallèle
Exposition du 4 octobre au janvier 2014 Vernissage le samedi 4 octobre à 18h en présence de Mathieu Tremblin
Notre proposition pour la galerie Eva Vautier s'intitule Univers parallèle. Il s'agit d'une peinture sur verre
contextuelle qui reprend la technique de dessin à l'aérosol utilisée par les peintres sur les marchés pour
représenter des paysages. La peinture est réalisée à l'intérieur de la vitrine de la galerie puis recouverte
intégralement de peinture noire à l'issue de sa réalisation, de sorte à n'être lisible que depuis l'extérieur,
accentuant ainsi la dimension spatiale et mystique de cet univers graphique.
Univers parallèle est une proposition en écho aux problématiques du projet Market Zone : elle met en
question ce que la mondialisation fait aux savoir-faire vernaculaires et comment le marché, en temps
qu'espace, rend propice la conservation et la reconduction de pratiques à mi-chemin entre l'art appliqué,
l'artisanat et la production industrielle et spectaculaire.
Le vernaculaire étant à l'origine le fait d'une communauté donc d'un territoire, on pourrait supposer
que cet espace du marché est, en regard de la société de consommation et de la grande distribution
(qui nivelle toutes les spécificités des territoires par le bas et les aliène à des impératifs de folklore
touristique), un « territoire nomade » avec ses modalités – commerciales – d'existence propres, demeurées
presque inchangées depuis les années soixante.
Ces conditions auraient permis de faire perdurer, voire de conserver intact, un corpus de pratiques à
mi-chemin entre l'art et l'artisanat, qui, sans elles, auraient probablement disparu : ce que l'on désigne
à l'origine comme de l'art de rue (Street Art en anglais), ceux que l'on désigne comme performeurs de
rue (Street Performers en anglais) ; des peintres de paysages à l'aérosol, des statues qui s'animent pour
quelques pièces, des caricaturistes, portraitistes et silhouetteurs qui croquent dans l'urgence, étendus aux
dessinateurs de fresques à la craie sur le macadam, aux magiciens de poche, et autres démonstrateurs de
marionnettes pour n'en citer que quelques uns. Ceux-ci ont en commun, sinon un rapport de recyclage
de formes empruntées à divers champ disciplinaires – principalement à l'histoire de la peinture et du
théâtre –, des impératifs de création unilatéralement tournés vers la subsistance, donc vers la rentabilité.
Et cette condition d'existence liée à une marchandisation immédiate confère à ces pratiques un caractère
de formes brèves et spectaculaires, dans la mesure où elles théâtralisent un savoir-faire pour attirer le
chaland. Elles tiennent de fait de la démonstration ou de la performance, parce qu'elles doivent être
ambulantes et reconductibles facilement, avec une économie de moyens tributaire des conditions de
production restreintes qu'auront à disposition leurs exécutants, et d'attention limitée qu'auront les
passants à leur consacrer. Ces pratiques ambulantes sont globalisées au sens où elles s'épanouissent et se
reconduisent partout dans le monde.
Nous avons réalisé quelques images de ces spray can artists (comme ils sont désignés depuis les années
soixante dix) qui manient la bombe de peinture aérosol avec plus que dextérité, astuces, sur des marchés.
Nous en avons retrouvé autant à Saint-Malo qu'à Belgrade ou à New York. Leur style pictural, s'il est
en partie contraint par les propriétés techniques de l'aérosol – séchage rapide, recouvrement immédiat,
texture et plastique de la peinture à solvant qui permet de rejouer à une échelle moindre des effets de
matières utilisés par les peintres de fresques et de trompe-l'oeil, gamme de couleurs industrielle puisque
les outils dessin sont détournés de leur usage premier –, induit aussi un univers connoté, technologique
et futuriste mais qui reste de l'ordre de l'exercice de style autour d'un sujet archétypal de la peinture
classique, le paysage.
Ainsi avec Univers parallèle, nous tentons d'affranchir ce style pictural du formatage créatif auquel
il est soumis par des impératifs marchands. Notre geste déplace cet univers graphique de l'horizontal
vers le vertical, de l'objet à accrocher chez soi vers la vitrine avec pignon sur rue, de l'échelle du «
format à emporter » vers l'échelle humaine de l'installation. Il lui restitue une « gratuité » autant qu'une
complexité en affirmant le rapport de transparence-opacité et d'endroit-envers comme la frontière
hypothétiquement indépassable ou l'hypothèse d'une impossible réconciliation entre deux univers
parallèles – supposément antagonistes –, la rue et la galerie, et qui génèrent chacun leur modalités
propres de création et de réception de l'art. Par extension, Univers parallèle pointe aussi l'écart entre
deux conceptions de la peinture – du dimanche contre de salon, populaire contre élitaire – où se noue
historiquement la différence entre la fonction décorative et la fonction esthétique. D'un côté de la paroi en
verre, des formes abstraites, muettes parce que convoquant le dépassement du sujet et l'autonomisation
du geste pictural dans l'histoire de l'art ; de l'autre, des formes figuratives, décoratives et vernaculaires
accusant une certaine complaisance vulgaire (au sens de vulgus, du commun) pour la technique, apanage
de l'art des amateurs.
Les Frères Ripoulain (Mathieu Tremblin et David Renault), Arles, Juillet 2014
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